Pot à pinceau famille rose. Chine, Yongzheng

Le porte-pinceaux est un objet usuel emblématique du bureau lettré chinois, alliant fonction utilitaire et valeur esthétique. Cette pièce, de forme hexagonale, présente sur chacune de ses six faces un médaillon : trois sont ornés de motifs floraux — chrysanthèmes, fleurs d’abricotier, entre autres — et les trois autres portent des inscriptions poétiques. L’ensemble compose une décoration où les vers et les images se répondent dans une harmonie fidèle à l’esthétique lettrée.

PAYS : Chine
ÉPOQUE : Yongzheng (1723-1735)
MATIÈRE : Porcelaine
RÉFÉRENCE : E660
STATUT : vendu
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Les vers inscrits sont les suivants :

« 一色杏花红十里,状元归去马如飞 »

Les abricotiers en fleurs teintent montagnes et plaines d’un rouge éclatant, s’étendant sur des lieues entières. Le tout nouveau lauréat des concours impériaux rentre triomphalement dans sa ville natale, lancé au galop, plein d’allure et de prestance. Ce distique constitue une réécriture d’un vers de Su Shi, extrait de son poème Ti Yunlongshan Fangheting (题云龙山放鹤亭), composé à la fin des Song : « 一色杏 花三十里,新郎君去马如飞 ».Par le biais d’une allusion florale au printemps, la version inscrite sur le porte-pinceaux substitue à la figure du xinlang jun (新郎君,« jeune marié ») celle du zhuangyuan (状元, « premier lauréat des examens impériaux »), incarnant ainsi l’idéal de réussite académique et d’ascension sociale. Chargé d’un fort imaginaire méritocratique, ce vers fut largement diffusé, tant dans les cercles populaires que dans les ateliers des lettrés, devenant un motif récurrent dans les objets décoratifs liés à l’univers lettré.

« 紫白红黄种色新,移来秋便有精神 »

Les fleurs violettes, blanches, rouges et jaunes déploient des couleurs fraîches et éclatantes. Même transplantées ailleurs, elles conservent leur vitalité et leur

éclat, y compris en automne. Ce vers est emprunté au premier chapitre du Yu Jiaoli (玉娇梨), roman de la fin des Ming ou du début des Qing. Il célèbre la beauté multicolore des chrysanthèmes, capables de conserver leur éclat même en saison tardive. Par extension, cette image florale devient une métaphore morale : elle illustre l’idéal du lettré persévérant, capable de demeurer digne et résilient face à l’adversité. Elle fait ainsi écho à l’élévation spirituelle recherchée dans la culture du wenfang (文房, « bureau des lettrés »), où l’esthétique florale se double d’une portée éthique.

« 富贵一慕千金价,暮春深惹玉堂风 »

Cette fleur, symbole de richesse et de noblesse, est si convoitée qu’on la considère digne de mille pièces d’or. Même à la fin du printemps, elle attire encore les

regards et embaume de son parfum les résidences raffinées. Ce vers reprend librement une image empruntée à Han Cong (韩琮), dans un poème de la période Tang dédié à la pivoine : « 晓艳远分金掌露,暮香深惹玉堂风 ». Dans cette adaptation, l’allusion au yutang feng (玉堂风) — littéralement « le vent du Pavillon de jade », métaphore raffinée associée au parfum flottant dans les demeures élégantes — est conservée, mais enrichie par des termes tels que fugui (富贵, « richesse et noblesse ») et qianjin ( 千金, « mille pièces d’or »), renforçant explicitement l’imaginaire d’ascension sociale. Ce vers cristallise ainsi l’idéal lettré d’élégance, de distinction et d’aspiration au raffinement, dans une culture où la beauté florale devient l’expression poétique d’un statut désiré.

Dans son ensemble, ce porte-pinceaux articule étroitement les dimensions formelle et poétique de la peinture et de la calligraphie. Il reflète les thèmes récurrents de la culturelettrée chinoise, tels que l’appréciation des fleurs, le rapport aux rythmes naturels, les idéaux de carrière et les valeurs morales. Par l’union entre fonction utilitaire et contenu symbolique, cet objet illustre les interactions entre pratique quotidienne, expression artistique et cadre de pensée propres au milieu lettré.

« Huì’ān » (卉菴) : une marque sur porcelaine de la dynastie Qing

Le terme Huì’ān, transcrit en pinyin, peut correspondre soit à une marque de type tángmíng kuǎn (堂名款), désignant le nom d’un pavillon ou d’un studio privé, soit à une marque de type rénmíng kuǎn (人名款), c’est-à-dire un nom propre associé à un individu. Les marques tángmíng kuǎn font généralement référence à des résidences privées, pavillons d’étude ou studios lettrés, dont les noms sont inscrits, peints ou gravés sur des porcelaines destinées à un usage personnel, cérémoniel ou de collection. Ces désignations incluent des termes tels que táng (堂 – salle), zhāi (斋 – ermitage), xuān (轩 – pavillon), shì (室 – chambre), shūfáng (书房 – bureau), lóu (楼 – étage) ou gé (阁 – cabinet). Les marques rénmíng kuǎn, quant à elles, correspondent à des noms de propriétaires d’ateliers, artisans, commanditaires, collectionneurs ou surintendants associés à la production ou à la supervision de la pièce. La marque Huì’ān apparaît principalement sur des porcelaines datées du règne de l’empereur Kangxi (1662–1722), bien qu’elle soit également attestée sous le règne de Yongzheng (1723–1735). Cette récurrence peut indiquer qu’il s’agissait d’un nom de studio apprécié dans les milieux lettrés de l’époque, ou bien d’un nom personnel lié à un acteur de la production céramique à Jingdezhen durant la première moitié de la dynastie Qing.