Informations supplémentaires :Né à Paris le 5 juin 1689, Antoine Louis Rouillé appartenait à une famille originaire de Touraine. Il était le fils de Louis-Roslin Rouillé, conseiller d’Etat et neveu de Louis Rouillé, contrôleur général des postes, patrimoine exclusif et fort lucratif des deux familles Rouillé et Payot qui s’y succédèrent de 1672 à 1738. Sa mère était Marie-Angélique d’Aquin, fille unique du docteur Louis Henri Antoine d’Aquin, premier médecin de Louis XIV. Celui-ci avait acquis le château de Jouy-en-Josas en 1684. Marie-Angélique avait épousé en 1686 Louis Roslin Rouillé, à qui furent vendus les terres et le château de Jouy-en-Josas en 1701.

Marie-Angélique et Louis donnèrent naissance, en 1689, à Antoine-Louis Rouillé, qui dut connaître ses premières années au château de Jouy-en-Josas. Ce château devint plus tard sa résidence de campagne quand il bénéficia d’un appartement à Versailles et résida dans son hôtel à Paris, comme bon nombre de ses contemporains au service du roi de France. Après de brillantes études chez les jésuites, Antoine-Louis Rouillé devint, à 22 ans, en 1711, conseiller au Parlement de Paris, puis hérita, en 1712, de la fortune de son père. Il serait devenu l’un des plus riches dignitaires de la Cour en bénéficiant d’une énorme rente, de près de 200 000 livres par an.
Conformément au cursus habituel des grands commis de l’Etat de l’époque, Antoine-Louis devint, dès 1718, maître des requêtes au Conseil d’Etat. En 1725,
il eut la charge d’intendant du commerce, dont les titulaires, avec les intendants des finances, étaient les principaux collaborateurs du contrôleur général des Finances. Dans cette fonction, il s’attacha particulièrement à réglementer et développer le commerce avec le Levant, à encourager les manufactures du Languedoc, notamment en favorisant l’envoi à l’étranger de jeunes gens.
En 1732, le garde des sceaux, Chauvelin, confia à Louis-Antoine la direction de la Librairie et donc la charge de la censure des livres au nom du roi, qu’il exerça jusqu’en 1747. Il s’y distingua par l’encouragement à la publication d’œuvres d’importance, notamment la première belle édition des œuvres de Molière, et il garda plus tard des relations étroites avec Malesherbes à propos de publications d’œuvres à caractère économique.
Commissaire du Roi auprès de la Compagnie des Indes
Conseiller d’Etat semestre en 1744, maître des requêtes honoraires en 1745, Rouillé fut nommé cette année-là au poste éminent de commissaire du roi près la Compagnie Perpétuelle des Indes « qui était plus qu’un ministère des colonies avant la lettre ». C’était un poste très délicat d’autant plus que la France était en guerre contre l’Angleterre ‒ officieusement de 1740 à 1744 ! Français et Anglais s’affrontaient durement aux Indes où le gouverneur général des établissements de la Compagnie était alors Joseph-François Dupleix. La Compagnie, aux capitaux privés, avait le monopole du commerce avec les Indes et bénéficiait (comme l’East India Company, sa rivale anglaise créée en 1600 et la VOC néerlandaise, créée en 1602), de pouvoirs régaliens (troupes, vaisseaux, monnaie, justice). Son objectif était de faire un commerce lucratif, mais elle était aussi le « bras armé » de l’Etat dans ce territoire en guerre, à six mois de France par la périlleuse « route des Indes ». On voit donc le rôle très délicat du commissaire du roi au cours de cette période qui se termina en 1748, aux Indes, comme en Europe et en Amérique, sans vainqueur décisif. Rouillé a presque entièrement réorganisé la Compagnie française.

Secrétaire d’Etat de la Marine
Grâce à son expérience et à sa compétence, en particulier dans les questions économiques, qu’il fut ensuite nommé le 30 avril 1749, Secrétaire d’Etat de la Marine, à la place de Jean Frédéric de Maurepas, disgracié, qui y régnait depuis …1723. Rouillé avait dans un premier temps refusé le poste pour des raisons de santé, mais le roi avait insisté sur les instances de Madame de Pompadour et du Contrôleur général des finances, Machault d’Arnouville. Le poste était d’importance car il comportait non seulement la marine et ses arsenaux mais également les pêches, les consulats et les colonies d’Amérique. Rouillé devenait ainsi ministre d’une Nouvelle France, qui comprenait d’une part le Canada, avec les Grands Lacs, qu’on appelait les « Pays-d’en-Haut » et, d’autre part, la Louisiane, des Illinois au golfe du Mexique. Séparée administrativement du Canada depuis 1717, la Louisiane était placée sous l’autorité assez théorique du gouverneur général et de l’intendant de la Nouvelle France à Québec qui relevaient du « Ministre ». Celui-ci avait aussi la supervision des îles : Guadeloupe, Martinique, Saint-Domingue, qui faisaient de la France le premier producteur de sucre du monde, grâce à ses plantations bien pourvues en esclaves (150 000 à Saint-Domingue), mais les Indes étaient toujours sous le contrôle de la Compagnie des Indes, un Etat dans l’Etat, qui relevait du Contrôleur général des finances. Il est reconnu pour avoir voulu construire une marine savante, il encouragea vivement toutes les sciences relatives à la navigation. Rouillé poursuivit ainsi avec rigueur et méthode la politique de son prédécesseur dans cette étonnante quête de découvertes qui caractérise le temps des Lumières. De très nombreux ouvrages et traités parurent ainsi dans tous les multiples domaines auxquels il s’intéressait de près, en liaison permanente avec l’Académie des Sciences. Le 27 juillet 1754, le marquis de Saint Contest, Secrétaire d’Etat des Affaires Etrangères, mourut subitement au château de Versailles, devant le roi. Dans ses Mémoires, le marquis d’Argenson prétendit que plus de trente-cinq candidats se manifestèrent pour lui succéder. Rouillé, étonné et réticent, se vit alors proposer le poste de Secrétaire d’Etat des Affaires étrangères, sans aucun doute parce qu’il était très au fait des relations de plus en plus tendues de la France avec l’Angleterre depuis le traité d’Aix-la-Chapelle en 1748. Pour surmonter ses hésitations, et selon les Mémoires sur la Cour de Louis XV du duc de Luynes, on lui donna une gratification et le droit d’acheter la charge prestigieuse de grand trésorier dans l’ordre royal du Saint-Esprit, qu’il acheta à Machault pour la somme de « 300 000 livres et 100 000 de pots de vin ».

Ministre de la Nouvelle-France
Certes, le traité de paix d’Aix-la-Chapelle en 1748 avait rétabli en Amérique du Nord « les choses sur le pieds [sic] où elles étaient ou devaient être avant la dernière guerre », comme l’écrivit Rouillé et la citadelle de Louisbourg, capturée en 1745, avait été restituée aux Français. Mais un concert de protestations s’éleva de toute l’Amérique anglo-saxonne et de toute l’Angleterre. Le nouveau gouverneur du Canada, La Jonquière, arrivé le 14 août 1749, fit construire le fort qu’il appela « Rouillé », du nom de son ministre, à l’emplacement de l’actuelle ville de Toronto et il voulut chasser les Anglais de la vallée de l’Ohio, mais avec des moyens insuffisants. L’opération menée en 1749-1750 fut un échec. Ce fut Ange Duquenne de Menneville, descendant du grand Duquesne de la marine de Louis XIV, qui débarqua à Québec le 1er juillet 1752 pour un mandat de trois ans. Sa rapide arrivée surprit tous ceux qui espéraient voir enfin nommé au gouvernement général, le « Grand » marquis de Vaudreuil, canadien de souche (on voyait déjà apparaître un particularisme canadien) et gouverneur en fonction d’une Louisiane qui connaissait enfin paix et prospérité.
Mais Rouillé avait commencé par nommer, en février 1752, le chevalier de Kerlérec gouverneur de la Louisiane, et curieusement demandé à Vaudreuil d’attendre le retour de Duquenne en France, avant d’aller à Québec gouverner la Nouvelle France en 1755. Le marquis de Vaudreuil rejoindra ensuite son poste alors que les hostilités avec les Anglais étaient sur le point de se déclencher, avec la capture brutale en pleine mer et en pleine paix de nombreux vaisseaux français de commerce et même de guerre. La guerre fut perdue pour les Français. Le Canada et la rive gauche du Mississipi furent cédés aux Anglais, la rive droite, aux Espagnols, par le traité de Paris en 1763. On peut observer que le comte de Jouy eut le triste privilège de nommer le dernier gouverneur de la Louisiane, Kerlérec et le dernier gouverneur général, Vaudreuil. Avait-il donné à l’immense domaine colonial français nord-américain tous les moyens de se défendre avant une guerre décisive ? Trop tard ? Trop peu ? Sans doute, mais pour « quelques arpents de neige », selon le célèbre mot de Voltaire, il avait remué ciel et terre. Il devait le faire et il le fit. Pour paraphraser la belle devise du Canada, on doit se souvenir.
Secrétaire d’Etat des Affaires étrangères
Après sa démission de la Marine, Rouillé fut secrétaire d’Etat des Affaires étrangères de 1754 à 1757, mais, atteint par de graves problèmes de santé qui l’amenaient à s’endormir en plein Conseil, il fut amené à démissionner par le cardinal de Bernis qui prit sa place. Cependant le roi l’estimait : il le laissa au Conseil et lui confia la charge de la surintendance des postes et relais.
Il fut signataire du traité de Versailles de 1756 (connu d’abord comme le traité de Jouy, puis comme le premier traité de Versailles) qui fut un accord diplomatique entre l’Autriche et la France signé le 1er mai 1756 au château de Jouy. Le traité est signé par Rouillé et le Cardinal de Bernis au nom de Louis XV et par Starhemberg, ambassadeur d’Autriche pour le compte de Marie-Thérese d’Autriche]. Il met fin à plus de 300 ans d’inimitié entre les Bourbons et les Habsbourg. Rouillé mourut le 20 septembre 1761 et fut inhumé à Saint-Germain l’Auxerrois. Son unique fille, Marie-Catherine Rouillé de Jouy épouse en 1749, Anne-François d’Harcourt, marquis de Beuvron, propriétaire du château de Champ de Bataille.