GALERIE NICOLAS FOURNERY

Les « Vases Alfonso Cumberbatch ». Chine, Yongzheng

De forme balustre, à pans coupés, chaque panneau moulé finement et décoré de personnages sur des terrasses avec des pavillons, alternant avec des papillons en vol et des oiseaux perchés sur des branches fleuries, l’ensemble réservé sur un fond bleu à motifs de géométriques dorés, entre des bandes de ruyi sur l’épaule et au pied avec des bouquets de fleurs sur un fond de volutes denses, le col avec des cartouches quadrilobés renfermant des paysages lacustres et des pivoines réservées sur un fond de motif de treillage rose, les couvercles décorés de la même façon avec des lions bouddhiques assis en biscuit et dorés.

Reproduits par George Williamson dans The Book of Famille Rose, Charles E. Tuttle, 1927, Plate LV.

Photographie : Jérémie Beylard / Agence PHAR

Origine :
Chine
Époque :
Yongzheng (1723-1735), ca. 1735
Matière :
Porcelaine
Taille :
88 cm
Référence :
D712
Statut :
vendu

Provenance

Dr. Alfonso Elkin Cumberbatch (1847-1929),
Probablement Franck Dickinson, Londres (marchand), 1919,
Importante collection particulière européenne

Oeuvres en rapport

Deux autres paires de vases du même modèle sont connues :

Christie’s Londres, Fine Chinese Ceramics and Works of Art, 29 novembre 1971, lot 95 (malencontreusement présentés comme Cumberbatch), puis, Christie’s Londres, Chinese Ceramics and works of art, 06 avril 1998, lot 134 (Property of a lady)

Sotheby’s Paris, A Travers les Style: A Private Collection of Silver, Painting and furniture, 15 December 2010, lot 81 (vendu comme Epoque Qianlong)

Pour des vases comparatifs :

Jorge Welsh, The Vases of the Hundred Treasures, Jorge Welsh Research & Publishing, 2019

Une paire de vases à décor de figures, sans couvercle, est conservée dans collections du Musée de l’Hermitage (Saint-Petersbourg), reproduite par Tatiana Arapova dans Chinese Export in the Hermitage Museum, Late 16th – 19th centuries, 2003, p. 30, no. 26.

Une paire de vases à décor de figures, mais avec les panneaux verticaux divisés en deux registres, a été publié par Cohen & Cohen in Bedtime stories, 2004, no. 5.

Notice

Il est de ses pièces mythiques que les collectionneurs, amateurs, et marchands connaissent par leur publication dans des ouvrages de référence mais non localisées, et qu’ils rêvent de rencontrer un jour. Les Vases Cumberbatch font partie de cette catégorie d’objets, et telle a été notre émotion lorsque nous les avons découverts il y a un peu moins de trois ans dans une collection particulière européenne.

Nous connaissions leur existence depuis bien longtemps puisqu’ils sont reproduits dans l’ouvrage sur les porcelaines de Chine de la famille rosed’époque Yongzheng, The Book of Famille Rose par George Williamson, ouvrage qui reste d’ailleurs toujours à ce jour la référence dans ce domaine, presque cent ans après sa première publication en 1927.

George Williamson avait fait un choix très restrictif dans ses illustrations, puisque seulement moins d’une dizaine de vases sont illustrés dans cet ouvrage. Les meilleures provenances de l’époque sont présentes dans cet ouvrage comme la collection Grandidier, Martin Hurst, Ronald Grevillle, Philip Sassoon, Hugh Morrison … et bien sûr Cumberbatch.

Les Vases Cumberbatch que nous présentons à la Pagode CT Loo à l’occasion du Printemps Asiatique sont exceptionnels à tout point de vue : par leur présence et leur puissance décorative ; par leurs dimensions qui relèvent du tour de force technique dans le premier tiers du XVIIIe siècle ; par leur provenance qui rappelons le, fait partie des meilleurs pour cette époque ; ou encore par leur qualité d’exécution, tant dans la large palette colorée utilisée que dans le talent des artistes qui ont peint leurs décors.

La forme et la qualité des Vases Cumberbatch n’est d’ailleurs pas sans rappeler « The Vases of the Hundred Treasures » (Les Vases aux Cent Trésors), que Luisa Vinhais et Jorge Welsh n’avaient pas hésité à qualifier en 2019, « de vases balustres destinés à l’exportation … les plus finement peints et les plus exceptionnels répertoriés à ce jour ».

Souvent l’objet de commandes privées ou alors réalisés par les artisans les plus talentueux pour les plus importants amateurs de leurs temps, ces vases étaient les porcelaines les plus désirables. La réapparition des Vases Cumberbatch est donc un événement en lui-même.

Lors de nos recherches, nous avons été confrontés à un problème de taille puisque les Vases Cumberbatch étaient supposés avoir été présentés deux fois sur le marché de l’art londonien. Une première fois en 1971, acquis par un collectionneur allemand, et une seconde fois en 1998 lors de leur revente par le même collectionneur.

Un examen attentif des photographies de 1971 et de 1998 nous a permis de remarquer que les vases présentés étaient évidemment bien du même modèle, mais n’étaient pas ceux provenant de la collection Cumberbatch. L’erreur faite en 1971, puis celle de 1998 découlant de la première, proviennent sûrement du fait que le marché a dû imaginer que ces vases étaient uniques en 1971, et donc qu’il ne pouvait que s’agir que des Vases Cumberbatch. Quant à la vente de 1998, les spécialistes ont simplement dû reprendre les éléments du catalogue de 1971.

L’analyse des photographies de la paire de vases 1971/1998 présente ainsi plusieurs différences incontestables avec les vases Cumberbatch, à la différence de la paire de vases que nous présentons ici qui correspond parfaitement à la photographie de la paire publiée en 1927 provenant de l’éminent collectionneur qui a donné son nom à ces vases.

Tout d’abord, chaque panneau décoratif du corps de chaque vase (et de chaque couvercle) est unique. Aucun décor n’est répété même deux fois sur le même vase.

D’autres part, en observant nos vases dans l’exacte position des vases photographiés, nous retrouvons les mêmes défauts de cuisson uniques matérialisés sous forme de points noirs et propres à chaque vase, et les mêmes façons de traiter le décor. Nous pouvons également observer l’exacte similitude de la forme des vases ainsi que les déformations dues à la cuisson de ces derniers, notamment lorsque l’on observe la forme des couvercles. Cette analyse comparative de nos vases avec la photographie publiés dans The Book of Famille Rose permet de les identifier de manière incontestable.

Attardons-nous un peu plus longtemps sur le décor des couvercles pour finir de démontrer le caractère incontestable de la provenance de nos vases. Les lions étant inclinés, les couvercles ne peuvent être posés sur les vases que d’une seule façon. Sur les vases Cumberbatch, sur le couvercle de gauche, la barrière est évidée alors que sur le couvercle de gauche des vases 1971/1998, la barrière est peinte en aplat orange.

De même, sur les vases Cumberbatch et les vases présentés par notre galerie, l’objet tenu par le personnage agenouillé est dans le même axe que l’architecture, alors que sur les vases 1971/1997, l’objet est projeté bien plus en avant. Sur nos vases et les vases Cumberbatch, la tête de la jeune femme chinoise butte dans l’architecture alors qu’elle est en retrait sur les vases 1971/1998.

La forme octogonale des vases est peut-être due à l’influence des porcelaines du Japon. Les porcelaines Kakiemon, fabriquées à Arita par la famille Sakaida à partir du deuxième quart du XVIIe siècle, privilégiaient les formes angulaires, probablement parce qu’elles étaient moins susceptibles de se déformer lors de la cuisson les formes circulaires.

L’équilibre entre la forme, l’organisation du décor dans les panneaux pour raconter une histoire et la pertinence des épisodes choisis reflète le génie des artistes qui ont participé à la création de ces vases. Les vases ont ainsi été décorés des épisodes du Pavillon de l’Ouest, soit un décor figuré, c’est à dire le style le plus désirable dans la hiérarchie des genres, devant les animaux, les paysages et les décors floraux.

En Chine, à la fin du XIIe siècle, un certain Dong Jieyuan a écrit un livre dans lequel il a compilé des variantes textuelles existantes de pièces de théâtre populaire, de romances et de ballades racontant une histoire d’amour bien connue. Il a été publié sous le nom de Xixiangji zhugongdiaoi. À son tour, ce livre a été adapté et développé par Wang Shift (c. 1250-1300), un célèbre dramaturge et qui l’a publié sous forme de comédie en huit livres, appelée Xixiangji (Le roman du Pavillon de l’Ouest). Bien que le Xixiangji soit entré dans le domaine de la littérature chinoise classique, l’histoire elle-même est restée immensément populaire parmi toutes les classes sociales en Chine. Encore récemment dans les années 1980, les compagnies d’opéra de Pékin ont mis en scène des performances, des films et également des bandes dessinées ont revisité ce thème. Sans aucune exagération, on peut affirmer que le Xixiangji est une partie essentielle du patrimoine oral, littéraire et théâtral de la Chine.

Parce que cette histoire était si populaire en Chine, les scènes les plus importantes sont devenues des images conventionnelles, facilement reconnaissables par le public. Des illustrations sur bois dans de nombreuses éditions se sont également concentrées sur des scènes de base, créant ainsi un corpus de motifs largement utilisés par les peintres, les brodeurs de soie, les laqueurs et autres artisans.

Les porcelaines décorées du « Pavillon de l’Ouest » sont devenues couramment répandues durant le règne de Shunzi (1644-1661), ces porcelaines annonçant ainsi la popularité du thème sous le règne de Kangxi (1662-1722).

Après la répression des rébellions Ming en 1683, les décorations sur la porcelaine avec des messages politiques cachés et des allusions au « bon vieux temps Ming » n’étaient plus les bienvenues, les artisans cherchant de nouvelles sources d’inspiration. Le roman « innocent » du Pavillon de l’Ouest s’est avéré être une source idéale, et semble avoir été plus populaire que toutes les autres scènes théâtrales ou histoires littéraires.

Alors que la plupart des porcelaines de l’époque Kangxi (1662-1722) ou de l’époque Yongzheng (1723-1735) ne présentent qu’un seul épisode du roman, exceptionelles sont les pièces qui présentent plusieurs scènes.

Citons à titre d’exemples un modèle de grand bol et de grand plat peints dans les émaux de la famille verte, illustrant de nombreux épisodes du Roman du Pavillon de l’Ouest (dont notre galerie a présenté un exemplaire récemment), un modèle de grand bol décoré en bleu sous couverte (Sotheby’s New York, Kangxi : The Jie Rui Tang Collection, 20 mars 2018, lot 631), ou un vase rouleau conservé au Victoria and Albert Museum à Londres (C.859-1910).

Un programme iconographique a été défini afin de décorer tous les pans coupés des vases et leurs couvercles, alternant avec des décors floraux agrémentés parfois d’oiseaux et de papillons symbole d’émotions. Huit épisodes ont ainsi été choisis, nous avons pu en identifier sept grâce à l’ouvrage de Christiaan Jörg, Famille Verte: Chinese Porcelain in Green Enamels, l’un malheureusement restant non identifié.

Scène 1 : Zhang à cheval se rendant à la capitale. Son serviteur marche et porte les affaires de son maître, y compris une pile de livres sur un perche sur son épaule. Zhang porte un capuchon d’érudit sur sa tête pour le distinguer.

Scène 3 : Zhang est guidé par son accompagnateur. Il voit Yingying et Hongniang se promener dehors et bien que Yingying garde son éventail haut dans un geste modeste pour cacher son visage, Zhang tombe amoureux.

Scene 12: Hongniang emmène Zhang dehors pour jouer de la cithare pour Yingying.

Scene 13: Zhang, derrière un mur de sa chambre joue de la cithare pour Yingying, que Hongniang a emmené dehors. L’acte se déroule la nuit et la scène se déroule sous les étoiles.

Scene 16: Zhang, ayant lu la réponse de Yingying, se précipite à sa rencontre dans le jardin, s’appuyant sur une branche de saule alors qu’il saute un mur. Yingying se détourne, en colère contre son comportement grossier.

Scene 20: Zhang part pour la capitale pour passer ses examens et fait ses adieux à Yingying et à Hongniang. Sa chaise à porteurs se tient prête, son domestique prépare les bagages.

Scene 22 : Le serviteur de Zhang apporte des nouvelles de son maître à Yingying et Hongniang. Il a réussi ses examens mais est tombé malade et est retardé. Il tient sa lettre dans ses mains.

L’idée de défier la volonté parentale au nom de l’amour, en plus du contenu parfois suggestif et licencieux du Roman du Pavillon de l’Ouest, a fait de cette thème une cible de censure à plusieurs reprises en Chine. Néanmoins, l’histoire a continué à jouir de la popularité et des scènes de celle-ci ont été racontées dans divers formats, des peintures à la décoration sur la laque et la céramique.

Photographie : Jérémie Beylard / Agence PHAR

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