GALERIE NICOLAS FOURNERY

Pot-à-oille pour le marché français aux armes des Jubert de Bouville. Yongzheng

Décoré dans les émaux de la famille rose avec une large et riche frise de fruits et de fleurs, une frise de croisillons ponctuée de quatre cartouches floraux, une frise dentelée, et les armes d’alliance Jubert de Bouville, « Écartelé aux 1 et 4, d’azur, à une croisette d’or ; aux 2 et 3, d’azur, à cinq fers de lance d’argent posés trois et deux », et Guyot, « Écartelé aux 1 et 4, de gueules, à une mer d’argent en pointe, surmontée de trois poissons nageant de même, l’un sur l’autre, celui du milieu contre passant ; au 2 et 3, de sable à trois fontaines d’argent, posée deux et une ».

Origine :
Chine
Époque :
Yongzheng (1723-1735), ca. 1724
Matière :
Porcelaine
Taille :
26 cm / 25.5 cm
Référence :
D146
Statut :
vendu

Oeuvres en rapport

Une paire de grands plats de ce service faisait partie de la collection d’Elinor Gordon (Sotheby’s NYC, Chinese Export Porcelain from the Private Collection of Elinor Gordon, 23 january 2010, lot 212).

Un bassin d’aiguière provenant aussi de ce service était conservé dans la collection de Benjamin F. Edwards III (Christie’s NYC, Chinese Export Porcelain, 22 janvier 2002, lot 144).

Deux très grands plats, trois assiettes, et deux grands plats octogonaux ont été présentés par la Cohen & Cohen à Londres (Think Pink, 2013, no. 7 & 8, 42 cm / 46.5 cm ; no. 9, 23 cm ; no. 10, 37.5 cm).

Notice

Par le raffinement et la richesse de son décor, la large palette colorée des émaux sur couverte, la diversité des pièces de forme du service avec leurs dimensions parfois imposantes, ou le caractère ostentatoire des armoiries d’alliance, ce service compte parmi les plus beaux exemples de commandes armoriées faites pour la France. Spectaculaire, il devait montrer la puissance financière du propriétaire, au tout début du XVIIIe siècle, à une époque où ce type de commande en Chine était encore réservé à une élite très restreinte.

Il marque aussi la transition entre deux époques, et deux styles. Les grandes dimensions de certaines pièces de ce service sont empruntées à l’orfèvrerie et la faïence française du règne de Louis XIV (1638-1715) et de la Régence (1715-1723) ; tout comme la frise de quadrillages ponctuée de quatre cartouches, qui trahissent l’influence des porcelaines de Chine de style Kangxi (1662-1722). En revanche, la large palette colorée des émaux sur couverte illustre l’explosion des couleurs, apparue sur la porcelaine de Chine vers 1720, avec les émaux de petit feu.

L’essor de la Compagnie des Indes au début du règne de Louis XV contribue au relancement d’une économie malmenée par la crise financière qui a suivi l’effondrement de la banque de Law en 1720. C’est dans cet élan de reprise que de grands personnages, souvent proches du pouvoir royal, tels Philibert Orry, contrôleur général des finances ou Jean-Frédéric Phélypeaux de Pontchartrain, comte de Maurepas, ministre de la Marine, ont passé commande en porcelaine de Chine. D’autres commanditaires, liés aux activités de la Compagnie des Indes, comme Louis-Euverte Angran, intendant du commerce ou Noël Danycan de l’Espine, célèbre corsaire de Louis XIV, furent attirés par ce luxe, en ce temps où la porcelaine est encore un privilège offert par le grand rêve de l’Orient. Seulement une douzaine de services, destinés à une clientèle très privilégiée datant de cette décennie 1725/1735, sont ainsi publiés dans l’ouvrage d’Antoine Lebel. C’est dans ce contexte que s’inscrit la commande Jubert de Bouville, mais elle semble néanmoins avoir été l’une des toutes premières réalisées pour le marché français. Elle fut sans doute l’objet d’une attention particulière, et probablement d’un coût considérable.

La famille Jubert, dont la filiation commence avec Guillaume, au début du XVe siècle, est originaire de Vernon. Cette ville de Normandie se situe au carrefour entre Évreux, Beauvais, Paris et Rouen par la vallée de la Seine. Les Jubert acquièrent le domaine de Bizy en 1596. En 1675, Michel-André y fait construire une demeure de plan allongé, flanqué de deux pavillons plus élevés et précédé de deux perrons « en fer à cheval ». La demeure, surnommé le « Versailles normand » sera ensuite au XVIIIe siècle la propriété du duc de Belle-Isle (1684-1761), petit-fils du surintendant Fouquet, du comte d’Eu (petit-fils de Louis XIV) et enfin du duc de Penthièvre.

Michel-André, seigneur de Bouville, marquis de Bizy, fut avocat général à la Cour des aides de Paris (1664-1674), et maître des requêtes, intendant à Limoges, Moulins et Alençon (1676-1694), à Orléans (1694-1709), puis il obtient la haute fonction de conseiller d’État ordinaire (nommé 1709). Louis-Guillaume Jubert (1677-1741), suit la voie tracée par son père Michel-André. Il est conseiller à la Cour des aides en 1699, maître des requêtes en 1703, intendant d’Alençon en 1708, d’Orléans en 1713, et enfin conseiller d’État en 1731. André Jubert nait en 1698 à Orléans. Petit-fils de Michel-André, fils de Louis-Guillaume, il passe son enfance à Bizy jusqu’à ses douze ans, en 1720, date où les Jubert cèdent le château et ses magnifiques jardins au décès de Michel-André. La famille emménage alors au château de Dangu, près de Gisors, seigneurie achetée en 1714 à Charles-François-Frédéric de Montmorency-Luxembourg.

Après avoir été conseiller à la Cour des aides de Paris (1720), et maître des requêtes en 1723, il épouse en 1724 Marie Thérèse de Chenizot, fille d’un riche conseiller au Parlement de Paris, François Guyot de Chenizot. Ce dernier est secrétaire du roi, receveur général des finances à Rouen depuis 1707, et secrétaire des finances en 1726. Il réside dans un hôtel particulier de l’île Saint-Louis à Paris, acquis en 1719 et dont il a fait transformer la façade par l’architecte Pierre Vigné de Vigny. D’importantes chimères sculptées ornent les consoles de ce remarquable édifice dont les fastes élégants de la Régence ont remodelé l’apparence. Cette alliance avec la famille Chenizot est un pas supplémentaire engagé vers l’univers de la finance. En effet, deux générations plus tôt, Michel-André Jubert de Bouville avait épousé en 1664 (date de la création de la Compagnie des Indes), Françoise Desmarest, sœur de Nicolas Desmarest de Maillebois, contrôleur général des finances en 1708, et nièce du Grand Colbert. Le pot-à-oille présenté par notre galerie a été réalisé à l’occasion de ce mariage. La grande modernité de cette commande aux armes d’alliance Jubert de Bouville – Chenizot n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’opulence de la sculpture de l’hôtel de Chenizot. François Guyot aurait ainsi pu jouer un rôle prédominant dans cette commande, dont un sentiment de puissance se dégage, et avoir offert ce service à l’occasion du mariage de sa fille. Peut-être que des liens financiers entre François Guyot et la Compagnie des Indes pourraient aussi expliquer cette commande en porcelaine de Chine.

Il est possible que Louis-Alphonse Jubert de Bouville, frère d’André, ait joué un rôle dans la commande de ce service en porcelaine de Chine. Il fit carrière dans la Marine royale et après plusieurs campagnes au Canada de 1722 à 1729, il est promu lieutenant de vaisseau en 1741, puis capitaine de vaisseau en 1751. En 1755, pendant la guerre de Sept Ans, il fut capturé par le HMS Oxford et passa deux ans en prison en Angleterre. En 1759, le roi Louis XV et la marquise de Pompadour tiendront d’ailleurs son fils Louis Jubert sur les fonts baptismaux, démonstration supplémentaire de la puissante ascension sociale de cette famille en l’espace de quelques générations. Une erreur se trouve dans la représentation des métaux des armes. Les croisettes d’or sont ici d’argent. Cette erreur peut s’expliquer par différentes possibilités. Il s’agit soit d’une mauvaise lecture du modèle par les émailleurs chinois, soit d’un oubli de la part de l’auteur du modèle envoyé en Chine. Il semble ici peu probable que l’on ait voulu indiquer une brisure, raison parfois évoquée pour expliquer ces erreurs dans la représentation des armoiries sur la porcelaine de Chine.

André Jubert de Bouville s’éteint le 14 septembre 1742 au château de Dangu, un an seulement après son père. La famille ne conservera qu’un temps cette seigneurie, puisqu’elle fut revendue le 31 août 1781 au baron de Breteuil, alors ambassadeur de France à Vienne. Le château de Dangu brûle en 1911, ce service en porcelaine de la Compagnie des Indes devenant ainsi un rare témoignage du faste de la vie des Jubert et de l’univers de la finance française au début du XVIIIe siècle.

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